ENTE ENTE
Adolescent à l’époque à Pontoise, je gagnais une partie de mon argent de poche en vendant le produit de mon jardinage au voisinage. La culture puis la vente d’aillet, de radis, de pommes et de framboises, constituait ainsi un petit pécule.
J’avais appris à greffer des « sillons » de pommier et de pruniers sur des porte greffes sauvages. Ces greffons permettaient de cultiver, si la greffe prenait, de nobles variétés.
C’est à cette occasion que le jardinier qui m’initia m’indiqua que la prune d’ente se nommait ainsi car elle résultait d’une greffe nommée ente. En effet, le verbe signifiant cette opération de lien et d’aboutage exact est enter.
Plus tard, chemin de l’art faisant, j’ai repris ces gestes d’arboriculteur fondamentaux pour les déplacer conceptuellement et effectivement dans ma pratique d’artiste. ..
Je rêvais de paysages habités par une parole chuchotée qui accompagnait les objets du monde et leurs curieux peuplements…J’ai donc gravé, greffé, enté des mots sur des végétaux, des feuilles et des écorces les considérant comme des portes greffes d’élevage de textes… La sève de l’arbre nourrissait ces sculptures vivantes produisant dés lors de véritables bouquets de fragments de textes qui poussaient et grandissaient au jardin ou dans le paysage.
Les mots inscrits reprenaient ceux qui étaient travaillés dans les pièces de verre, les collages ou les textes consacrés a la peinture des années 1996 1997. De nombreux éléments s’inscrivaient sous forme de boustrophédons et de palindromes conservant cette particularité de pouvoir se lire dans les deux sens à la montée et a la descente de sève. EVES SEVE, LE SENS NE SEL, REVER, SABLES SELBAS , etc
De nombreuses actions se déroulaient au jardin ou sur le littoral entre le haut et le bas de la dune, lieu du sable et sel et de leurs recouvrements inexorables dus a l’EROSion du frottement .
La réitération de cet acte de greffe produisait ENTE ENTE ENTE ENTE le jardin et le paysage devenaient « ENTENTE » comme peuplé de paroles inscrites et chuchotées qui accompagnaient le lecteur marcheur, soumis a un rêver énoncé comme au creux d’un coquillage, juste au seuil de l’audition ….
Les paroles inscrites participaient alors par leurs inscriptions du bruit chuchoté du monde. Ces mots sculptures vivants dispersaient alentours par le vent et les frottements divers leurs essences portées par le végétal, un peu a l’image des paroles et mantras bouddhistes sacrés dispersés par des flammes de tissus flottant aux vents ou des pierres inscrites roulant depuis des centaines d’années dans le lit des torrents .
Cette pratique rappelait aussi les élevages anciens de calebasses, de gourdes et autres cucurbitacées, incisées, gravées et dessinées ou encore les mises en formes et élevage de bâtons de marches forcés, courbés et engravés sur pied, aux abords du jardin autrefois. De coudrier, noisetier, ou néflier ces bois tortueux et noueux s’élevaient lentement , dressés courbés, tordus façonnés a la main pour la main ils s’ornaient de sillons de marques et d’inscriptions symboliques donnant puissance, protection et distinction a ces gens natifs d’un sol, d’un paysage, d’un terroir.( Noblesse paysanne de ces artisans paysagés-éleveurs de nos paysages).
Une partie de mon travail d’artiste des années 95 à 2000 consista en des « élevages de sculptures au jardin » . J’incisais des arbres et photographiais la poussée des entailles dans les bourrelets cicatriciels qui peu a peu refluaient l’écriture a l’intérieur de l’écorce jusqu a la rendre invisible.
Certains végétaux étaient ensuite taillés au moment de l’émondage et devenaient alors pièces artistiques susceptibles d’être exposés tels que dans des installations végétales et photographiques.
Certains fragments de végétaux, de branches, de peaux de fruits ou d’écorce inscrits quant a eux se trouvaient coulés en bronze suivant la méthode de fonte directe, passant ainsi a la pérennité, soumis a l’oxydation verte des patines de bronze quasi archéologique se substituant aux verts des mûrissement et pourrissements organiques pour l’éternité.
Certains objets de bronze inscrits ont d’ailleurs étés volontairement perdus-enfouis pour la découverte possible de futures curiosités dans quelques temps futurs…
ETNA le 12 11 2006
Pour Roseline Giutsi