…calligraphies…

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…calligraphies…

La calligraphie vient de loin, elle s’enracine dans les mythes fondateurs liant par la forme, le mouvement et la puissance symbolique, la progression de son flux à celui des lianes, des végétaux rampants, tombants ou grimpants et autres serpentements ou enroulements primitifs.
Provenant de ce lointain, elle le réactualise à la mesure de son avancée et de son dévoilement dans la proximité d’un corps à corps qui l’engage dans un tissage subtil entre graphisme, geste et respiration. Elle œuvre sur le proche.
La main qui effleure, caresse, gratte, griffe, incise les peaux des supports et organise les espaces selon les langues et les civilisations en privilégiant certaines postures et défilements du corps, des yeux, des mains et quelques déplacements complets.
Le ballet des rebours conduit la danse des gestes, privilégiant tour à tour la droite, la gauche, le haut, le bas, l’ascension, la descente, la giration, la scansion, la reptation, l’envolée, le retour, l’orbe ou le dévers….
La calligraphie organise le monde par la danse convenue des gestes, des signes et des figures formées. Elle marque le lieu par le sceau de formes figées quasi végétales qui conservent en elles l’histoire des lenteurs, des accélérations, des stases et des inflexions gestuelles. Elle tonifie le regard dans l’épaisseur et l’engorgement des traits qui rappellent les lames et follicules des herbes grasses.
Parfois, les tranchants acérés des graphes incisent et sectionnent ces moissons de signes plans qui s’organisent et s’élèvent, suivant des strates de sols et d’horizons à respecter et construire à la mesure des gestes qui courbent à la volée les signes à semer.
Le calligraphe en effet est « un semeur de signes à la volée », il arpente le support dans les raffinements d’un geste cultivé qui inscrit de manière durable le projet d’une pensée, d’une idée, d’un désir, d’une marque à jamais insondable pour qui ne connaît pas la même langue.

La calligraphie est de la parole précipitée, elle en possède le grain, le timbre, les velours, les légèretés, les puissances, les profondeurs et attachements dans la transcription des fluidités et des rétentions graphiques. Il existe d’ailleurs une haptique et une auditivité visuelle de la puissance calligraphiée qui permet de varier à l’infini le corps bruité du visible et la visualité de l’écrit.
Ces variations peuvent errer du suintement au tonnerre, de l’effritement cristallin et rafraîchissant à l’éclatement terrifiant et sinistre. De la dextre à la senestre la mémoire du destin de l’inscrit ne peut que se dévoiler en se chiffrant à nouveau. Nous ne pouvons qu’en pressentir la nature et le transport saisissant. En effet il persiste quelque chose qui résiste toujours au regard puis à la lecture dans le calligraphique dont la puissante présence nous soumet en aveugle. La sensation troublante de quelque chose qui ne peut être réduit et perçu totalement est d’ailleurs commune à l’expérience picturale, à la « promenade paysagée », et au transport amoureux.
La calligraphie est de la langue s’exerçant par la main, tout comme la parole est du désir s’exerçant par la langue. De ce fait elle peut être caresse intime et veloutée procédant de l’évanescence, de l’allusion, de légers replis alanguis qui invitent à des stratégies de lectures voluptueuses ou de manière contrastée, tremblements violents et heurtés, agressive et scandée procédant de l’engorgement graphique dominateur qui inflige au visible l’arrogance de ses signes imposés parfois totalitaires …
Dans toutes ses manifestations la calligraphie est androgyne, elle témoigne de son enracinement certain dans la racine des lianes et des mots. Elle véhicule toujours par-delà ses rebours, dévers et repentirs les projets d’expansion de la nature qui serpentent dès l’origine. Elle « appelle la pomme » ( appel le fruit )et la peau du fruit qui de lui-même se nomme « serpen penser » sous sa mue. Puis se « posant nu sans peau » elle dérobe ses velours et délivre sa chair dans « les repos de ses plis »