De Lagor à Mourenx

De Lagor à Mourenx

Par la fenêtre la nuit et la fraîcheur soufrée pénètrent et vivement se saisissent des moindres respirations, des plus petites inspirations….

La nuit avive les perceptions, elle écrête les visions et nous centre sur des infra sensations, plus corporelles et sensuelles. Un mélange savant insinue alors dans la vision nocturne les souvenirs mêlés et métissés du jour et superpose les voiles fugitifs d’autres bribes de percepts. La nuit, l’éveil nous rend poreux, comme si une respiration profonde était mieux conduite par la peau en un nappage souterrain. La chimie du mental soumet alors la langue à des rythmes, fluidités et associations plus essentiels et puissants.

La nuit est ici légère et vivante. On m’avait parlé d’une possible surprise lièe à des endormissements plus longs et profonds et à un micro climat sédatif, il n’en fut rien, et je me suis levé comme à l’accoutumé vers 6 heures.

Les aubes sont belles, les aurores colorées, et vibrantes. Tout pourtant pourrait se prêter à une horreur profonde tant la catastrophe écologique est prégnante et inscrit sa balafre d’acier, d’argent, de tubulures, de vapeurs et de soufre dans une plaine verte et fertile où les vaches, les maïs et les herbages côtoient dans une proximité surprenante, les fumeroles, les cheminées, les buses de pipe, les wagons soufrés et les inscriptions récurrentes d’une chimie omniprésente et encore florissante.

Malgré cela, ou peut être plus étrangement grâce à cela , les colonisations du techno industriel et les outrages qui en résultent constituent une belle étrangeté dont la puissance nous affecte, nous captive, nous fascine et nous trouble telle une subtile narcose.

L’air est vif, frais et cristallin doublé d’une infime saveur soufrée qui entretient un parfum permanent parfois dérangeant mais auquel on s’habitue rapidement..

La lumière peut être terne et plate si la météo est maussade, mais le soufre au lointain avive sa promesse d’or un peu vert et s’associe aux couleurs et mûrissements des cépages de Jurançons qui promettent dans l’ombre des vignes. A l’automne l’embrasement est total et lie les montagnes et les étals de soufre aux feuilles et grappes des vignobles dont les ceps s’extraient des terres où combes et dévers se griffent et scarifient de sillons tendres et friables.

Des hauteurs de Lagor sur la petite place de la mairie, il suffit de plonger les yeux dans la plaine pour surprendre les ors des jaunes poudrés. Les mains en appuis sur les rugosités minérales de la muraille qui borde la place et surplombe les jardins, il est possible de se nourrir et de se délecter des couleurs du presque marais salant industrieux qui se cultive en soufflant sous l’horizon.

Le souffle est omniprésent. Puissant, il baigne le quotidien d’une rumeur sourde et grave qui nous forge une perception tellurique permanente. Le dragon tapi est là, il somnole et frémi parfois. L’homme le chevauche et en extrait « es dragones » « des oranges » soufrés qui flottent en vapeurs serpentines avant de coaguler et de se pétrifier à la sortie des éperons et des canules fichées sur sa crête souterraine.

Le jour on oublie cette ventilation, cette expiration permanente sans reprise de souffle qui entretient le feu de l’univers sonore d’une texture dense et soutenue, sans repos ni inflexions.

Même les cloches et les sirènes perdent un peu de leur puissance tant la substance du son résiduel est là, s’exhalant du sol si doré où les couleurs musicales des gris et des jaunes s’accrochent dés l’usine aux fils des portées de rails, d’ élingues et d’ horizontales de tubulures qui barrent scandent, coupent et rythment la partition savante de cet espace.

Les paquebots sont là. Le noir de leurs cheminées se saisissant des horizons fluctuant des lointains bleutés d une aube qui point. L’usine est un de ces navires.

En partance elle s’accroche encore aux encres de la nuit qui se tapissent encore dans la vallée. Ses lumières scintillent en rivières de diamants précieux. Un œil attentif peut avec patience et ténacité y discerner de légères teintes rouges, vertes bleues, ocres et mauves évoquant rubis; émeraudes, opales, aigues-marines, améthystes et autres eaux de pierres solitaires.

A quai de verdure, l’usine paquebot est en éternelle amarre… Arrivée dans les années soixante elle en entretient la mémoire et l’histoire aux abords de Lacq et dans les terres proches où s’est amarré le second paquebot plus urbain et son flot d’habitants.

Ici les cheminées sont les tours qui crêtent les vallons de verdures de la forêt qui s’intègre à la ville. La cité allongée, adossée aux vallonnements étage par paliers ses barres, ses pavillons, ses nombreux parcs ainsi que ses terrassements d’architectures plates qui évoquent à la fois les châteaux et appontements de cargos ou paquebots en éternelles partances ou possibles départs et les étagements blancs du bâti des abords méditerranéens.

A Mourenx la ville se fleurit et se pare de végétaux riches et colorés. Palmiers divers, Canas, lauriers, roses, tamaris, pensées et autres fleurs déclinent des textures, des parfums et des découpes qui avivent les sensations bigarrées de l’oasis du marché du mercredi et du samedi matin. Il s’y déverse à l’étal, la marée et la criée des teintes, tonalités, accentuations, débits et musicalités diverses de langues, de paroles et d’accents.

De « la pagode d’or » à la « galerie », de la « rose d’orient » aux ombres de la place s ‘étalent les saveurs et délices locales d’une ville où l’humain assume la ferveur du mouvement, l’entretien de la vie et le frottement du quotidien dans un croisement de cultures brassant le Béarn et les Pyrénées à l’Europe entière et les pourtours méditerranéens à l’Asie dans de savants entrelacements de Nord et de Sud, d’Est et d’Ouest…

Mais, même si le végétal est abondant, le désert n’est pas loin. En effet, la chimie des pétroles a secrété une étrange «  Érosion »  invisible structurelle, cachée. Quelque chose d’insoupçonné semble lier par les nappes profondes de gaz et de pétrole le temps de Mourenx, de Lacq et de la région aux contrées lointaines et arides, aux oasis des complexes pétrochimiques du Sahara et du Nord de l’Afrique… Il y a du mystère la dessous

L’ « éros ion » de la nappe est conduite par éros… et ; A Mourenx la ville s’enracine dans Amour. La nuit la flamme des torchères balise le ciel de feux or anges … un ange passe légèrement soufré … orange soufré. ..plus loin le jour se lève, … Au loin la terre est toujours bleue, mais les roses naissants de l’aurore se mêlent à l’orée des brumes qui s’élèvent des soufres chauds. C’est bientôt le jour…

Etna Corbal

extraits de “les velours et équivalences”

ou “ de l’effraction des peaux du monde”

Septembre 2001 à 14 08 2002 à LAGOR E. C.