DECOLLECTION & PETITES CURIOSITES

DECOLLECTION & PETITES CURIOSITES

J’ai très tôt multi collectionné, cela doit être une de mes premières natures. Aussi loin que ma mémoire puisse remonter, l’activité de dessin, d’écriture, de création d’images, d’objets et de collection furent liées.

Je n’ai toujours pu vivre le réel qu’ à la mesure où je pouvais le rêver. Pour ce faire, la déambulation et la promenade solitaire m’étaient nécessaires car je trouvais

toujours de quoi glaner, roches, feuilles, branchages, racines, insectes, silex taillés, fossiles et autres trésors de curiosité. Je débutais alors très tôt un « cabinet de curiosité » 1aux contours non définis fondé sur ces objets collectés.

Plus tard adolescent, la lecture et la chine me permirent de me faire l’œil, l’oreille et le goût, et ce que je ne croisais pas de manière tangible je le rencontrais au cours de lectures et autres pérégrinations mentales virtuelles ou imaginaires.

Attiré par la gravure et la peinture lors de mes études aux beaux arts, j’ai bien évidement collectionné les unes et les autres en parallèle et contrepoint des découvertes liées aux apprentissages techniques et expressifs Je fréquentais ainsi les salles des ventes des après midi entières en marge des cours d’histoire de l’art, parfois même en les séchant, et si je n’achetais rien car je n’ avais que peu de moyens, je continuais à me faire l’œil et apprendre de manière fondée et charnelle. Je me souviens ainsi avoir palpé « un  Rembrandt d’époque » sur papier de soie et observé au compte fil les encrages des morsures avec émotion et saisissement. J’étais conscient d’être l’acteur privilégié d’une expérience sensible et peu commune de l’art alors que mes amis planchaient sur les bancs de la fac devant de mauvaises diapos de vases grecs et autres cratères.

L’œil vorace et gourmet je me délectais de la présence de vrais objets et nourrissais mon regard, cela me mettait en joie de connecter connaissance et intelligence sensible et me faisait sourire. J’ai d’ailleurs pu constater depuis que beaucoup de chineur et de collectionneurs, si ce n’est la totalité ont cette espèce de plis de malice de coin qui relie savamment aile du nez, bord de l oeil et plis des lèvres. Ce faisceau d’indice indique de manière quasi assurée cette intelligence « photosensuelle »2 de l’œil toujours à l’affût et probablement une sensibilité particulière au kairos, comme si celui ci était en partie géré par du désir en suspension et en attente.

Etonnamment des rencontres et croisements se produisaient toujours de manière fortuites mais opportunes à la confluence de hasards heureux produits d’un kairos et d’un serendipity récurrents. Ces co-incidences répétées toujours reliées à une mise en travail forte de questions plastiques et artistiques me troublaient toujours d’une double sensation et certitude d’être dans la justesse du monde et de son merveilleux tout autant que de son étrangeté.

Une bonne partie de mon existence est ainsi nourrie au quotidien d’un infra mince qui affleure par moment dans une veine fraîche et nourricière de bonne fortune. Je pourrais d’ailleurs raconter de nombreuses anecdotes qui coefficientent le banal du quotidien de dimensions extraordinaires comme si celui ci se filait à la mesure ou il s’échappe et file dans un entre temps tout en se tissant et dont les objets opportuns, manifestés et trouvés ne seraient que les révélateurs.3

Ainsi je me souviens avoir trouvé de manière dérisoire en des lieux incroyables une édition  des «  Rêveries d’un promeneur solitaire » de Jean Jacques Rousseau en édition originale du 18 eme pour 50cts de franc à l’époque aux puces de Monferrand à 4 h du matin à la lampe au « cul du camion » . A quelques semaines de cela au cours d’une marche, je découvris, volant au vent, sur une petite route du lot menant de Payrac à Rocamadour une gravure en tondo de Perelle du 17 eme siècle qui, poussée par le vent vint quasiment à ma rencontre. La proximité d’un dépotoir à l’air libre comme il en existait beaucoup vers la fin des années 70 dans de nombreux virages expliquait probablement cela, mais l’occurrence était singulière et produisit son petit ravissement J’ai également recueilli dans des temps assez proches des précédents une gravure de Poussin du 17 eme et une de Lebrun gravée par Audran graveur illustre de Louis XIV.

J’ai ainsi pu découvrir et inventer au sens usuel de « trouver » quelques raretés dans des conditions extrêmes ou la poésie se superposait de manière dramatique ou tragique à la surprise du cadeau et du présent4 de la trouvaille …Dans le domaine des arts j’ai ainsi pu agrandir mon cabinet des curiosités de peintures de Molinier, d’orientaliste connu, d’œuvres de Jean Michel Othoniel de ses débuts, de gravures de Merz, de dessins de Géo Ham ou Zadkine etc

Mes moyens étant extrêmement réduits mes pièces de curiosités furent toujours acquises pour des sommes modiques ou sous forme de trocs et d’échanges.

Une gravure de mes débuts représentant « Aquarius » se transforma ainsi en ceinture en crocodile de marque. Plus tard je troquais trois œuvres des débuts de J M Othoniel contre des séries de cartes postales originales de pièces personnelles de détournements autour de Michelin…qui se nommaient « Mille chine pour Michelin » éditées confidentiellement à tirages limités.

Ainsi ma pratique de créateur collectionneur est multiple et les deux pôles se façonnent l’un et l’autre développant des œuvres et pratiques hybrides dont la géographie et les contours sont flous à la mesure du monde contemporain qui métisse les genres. Le monde actuel telle une nouvelle Renaissance cherche l’amesure5 du monde, de nouveaux horizons pour l’aart6, la science, et des territoires solides ou » arraisonner l’araison »7 si c’est encore possible en cherchant à trouver de nouveaux médiums de spéculation et d’économie de l’utopie. En art ou en aart les questionnements sont connexes.

Comment penser, sentir et produire l’art lorsque l’horizon du paysage et de l’économie se courbent sous la virtualité interactive de google earth. Comment croiser les collections et les nourrir alors que la curiosité liée aux objets et aux œuvres se développe en cultivant un nouveau type de regard engendré par les flous d’accommodations8 de cet entre net qui se dénomme si bien lui même internet sans que l’on y prête vraiment attention.

Ayant inscrit depuis longtemps ma vie en la calant dans des modes opératoires néo-fluxus. J’ai décidé il y a trois ans de caler une pièce articulant production et collection artistique dans une économie de production liée aux occurrences de rencontres, de visibilité et de croisement qu’offre le web et internet.

L’essentiel de mon travail consistant à fabriquer un cabinet de curiosité articulant presque sur le même plan mes collections et productions j’ai entrepris de poursuivre ce travail en inversant le sens de la production. A la concentration et densification j’oppose une œuvre de « décollection » fondée sur la dispersion, la dissémination et le dé-sœuvrement .

Je me dessaisi de mes collections d’objets, céramiques, luminaires, peintures, livres rares et jouets anciens et les inscris dans des carrefours de curiosités qui les soumettent à l’échange par le biais d’internet. A Chaque dessaisissement je confectionne un petit dessin d’urgence et une fiche d’archivage que je joins à l’envoi. Je garde trace d’un double et se constitue ainsi au gré de la dispersion une collection de dessin de curiosité.

Ce concept de «  contre cabinet de curiosité » est riche actuellement d’environ 400 dessins et concerne de nombreux pays du monde au rang desquels……France, Allemagne ,Hollande, Pays bas, Grande Bretagne, Irlande, Espagne, Italie, Portugal, Finlande,Suède,Belgique,Norvège,Finlande,Danemark,Tchéquie,Maroc, Australie, Brésil, Japon ,Canada, Québec, Guadeloupe, Martinique, Argentine, Etats Unis…

Oeuvrant régulièrement sur le paysage, le jardin et le végétal, j’ai naturellement constitué une collection d’objets art nouveau et art deco qui allient dans la courbure des fers forgés battus et les pâtes de verres sablées des références certaines aux lianes, branches feuilles, opalescences, ombres et reflets de lumières. Tous ces éléments font partie des registres de matériaux de prédilection que j’emploie dans ma pratique d’artiste en photographie, installation, élevage de pièces, dessin etc…

J’ai ainsi une collection importante de lampes et de céramiques dont je me dessaisis de quelques pièces à l’occasion de cette exposition à la galerie Jeanne Huart de Bordeaux.

Certaines sont ici accompagnées de leurs « dessins d’urgence » et « image de dessaisissement ».

Certaines céramiques des années 50 60 sont également proposées car leurs formes épurées, prolongeant celles de l’art déco me permettent de faire une transition intéressante et une cohérence visuelle avec les pièces de curiosités personnelles fondées sur les transparences et des curiosités liées a l’hybridation que je propose également dans cette exposition.

Etna Corbal à partir du 08 02 2007

1 Cabinet de curiosité ; Collections diverses rangées dans un meuble de curiosité au 15 et 16 me siècle. Cela se développe à partir des découvertes et des grands voyages de la Renaissance et correspond à l’origine du fondement des sciences et de la muséographie. On trouve sans classification réelle aussi bien des plantes, fossiles , coquillages, objets ethnographiques, dessins estampes et autres curiosités. Ce n’est que courant du 17 me que des classifications et séparations voient le jour et il faudra attendre le 18 me et les encyclopédistes pour que les diverses branches des sciences et de la muséographie se constituent et s’autonomisent .

2 Photosensuelle : contraction de photosensible, sensuelle et consensuelle au sens de percept de photosensibilisation à la matière épaisse et charnelle des lumières et des formes et de leur halot ou aura de consistance et de connivence à une « infra modalité » du monde sensible dont la peau des images ne serait qu’une émergence et une respiration visuelle haptique.

3 Lire a ce sujet le petit texte de mai 2006 sur  « l’échappement » produit a l’occasion de la manifestation organisée par Patricia Proust Labeyrie.

4 Présent : occurrence sémantique d’un temps qui s’ouvre, s’offre et se donne tel un cadeau.

5 l’ amesure  néologisme évoquant un concept contemporain de désir immense de s’affranchir des mesures liées à un ordre et une mesure apparents du monde ayant prévalus jusqu’a présent. Rupture des barrières et mesures d’espèces et des ordres anciens. Affranchissement des catégories et des genres. OGM, implants corporels, interfaces corporels ; bionique, etc

6 l’ aart ; serait le support vectoriel de l’art ou celui ci ( l’art) est entrevu comme force en déplacement possible et incontournable sur ce filaire orienté ( sens et contresens en tension) Mais comme il s’exerce dans un champ il est multi orienté et vise par entropie ( volontaire ou de soumission) à manifester sans cesse l’amesure et l’araison. C’est l’exercice sur ce support de l’aart de l’amesure et de l’araison qui créent de fait une géographie fluide déterritorialisée sans cesse de la nouveauté artistique. L’art est vivant car une part échappe à tout type de contenant et de contenu…des qu’il atteint une mesure il semble y tendre infiniment par limite telle une asymptote puis semble changer d’octave et ainsi définir en apparence une fractale . >Entre ordre et désordre il nous faut accommoder sans cesse ce que Ben nomme « ruptures et variateurs ».

7 l’araison ; néologisme évoquant un concept flottant contemporain peu sérieux d’une raison qui se cherche sans cesse de nouvelles causes et de nouvelles logiques improbables car il lui est impossible de produire un ancrage et un enracinement valide tant notre culture contemporaine s’inscrit dans un  « hors sol » fluide où « les valeurs » s’exercent parfois dans un rebours d’espace un peu à l’image d’un gant que l’on retourne et qui se déforme car il est alors soumis à une nouvelle gravité de l’amesure. ( cf le stoppage du mètre étalon de Duchamp comme concept ) . Ce pseudo concept intéressant par le jeu de mot hybride liant raison, araison et arraisonner est un acte de flibusterie langagière il n’a probablement pas d’intérêt mais il m’amuse. Je l’articule poétiquement à ce que je nomme  « capitalisme futile poétique »

8 les notions de proche et lointains ainsi que les échelles de temps sont abolies par Internet un peu à l’image d’un système d’assistance autofocus de zoom rapprochant les lointains qui jouerait dans toutes les directions du maillage. L’intérêt majeur réside dans le nouveau statut fait au langage à travers les mots clefs des moteurs de recherche. Ici aussi pour que l’item de recherche objet, image etc soit arraisonné il faut qu’il soit au confluent de l’hybridation de champs lexicaux . (espèce de zoom sémantique)… Voir à ce sujet le texte en cours d’élaboration sur

« Curiosité  internet ou la nouvelle chine sémantique »